Vous avez dit recherche?

Publié le par Emelie de Sartiges

lettre parue dans Le Devoir du 4 septembre 2009

 

 

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Le New York Times et la revue PLoS Medicine dévoilaient plus tôt ce mois-ci comment tout un système de ghostwriting avait été mis en place par la compagnie Wyeth dans le but de promouvoir l’hormonothérapie pour les femmes ménopausées. Le ghostwriting (utilisation d’auteurs fantômes) consiste, pour une firme, à produire une étude favorable à ses intérêts puis à la faire signer par un expert reconnu afin qu’elle soit publiée «comme si» elle avait été produite de manière indépendante.

La communauté scientifique québécoise a été indignée d’apprendre qu’une chercheuse reconnue de McGill, Barbara Sherwin, avait signé une de ces études favorables à l’hormonothérapie et produites par Wyeth. Le geste est évidemment condamnable, mais il faut le savoir: il est devenu d’une banalité déconcertante dans le monde de la recherche médicale.

 Articles rédigés

Quatorze grandes firmes pharmaceutiques se partagent les deux tiers d’un marché mondial de 850 milliards de dollars et dépensent normalement deux fois plus en promotion qu’en recherche. Le problème s’aggrave lorsqu’on constate que la recherche scientifique est organisée comme des campagnes promotionnelles visant à produire des arguments de vente pour les produits.

Ainsi, des documents internes de Pfizer obtenus par le chercheur David Healy ont permis de révéler qu’entre 1998 et 2000, pas moins de 85 articles scientifiques sur la sertraline (l’antidépresseur Zoloft) avaient été rédigés à l’initiative directe de Pfizer. Durant cette période, l’ensemble de la littérature scientifique comptait seulement 211 articles sur cette molécule. Pfizer avait ainsi produit une masse critique d’articles favorables au médicament, ce qui lui a permis de noyer les études critiques.

En janvier 2008, on apprenait que l’industrie avait systématiquement «omis» de publier les études défavorables sur la nouvelle génération d’antidépresseurs, y compris sur le Zoloft. Sur 74 essais cliniques consacrés aux antidépresseurs, 38 étaient favorables au médicament, tandis que 36 considéraient le médicament douteux ou inutile. Néanmoins, 94 % des études favorables avaient été publiées, 15 % des études défavorables avaient été publiées dans un langage laissant croire que les résultats étaient favorables, et à peine 8 % des études défavorables avaient été publiées telles quelles.

En lisant les études disponibles, un médecin ne peut qu’avoir une opinion subjective des bienfaits de la nouvelle génération de médicaments, ce qui explique la grande facilité avec laquelle les médecins en sont venus à prescrire les antidépresseurs de manière systématique.

Fausse revue médicale

Pour orienter la recherche en faveur de son antidépresseur Paxil, on apprenait la semaine dernière que GlaxoSmithKline avait organisé une campagne secrète pour publier des études favorables au produit. La campagne de ghostwriting avait été nommée, non sans humour, Case Study Publication for Peer-Review, ou CASPPER, en référence au célèbre «friendly ghost». Pour promouvoir son tristement célèbre Vioxx, Merck avait aussi monté une campagne de ghostwriting, omettant de mentionner la mort de certains cobayes durant les essais cliniques.

Au cours des audiences d’un recours collectif contre le Vioxx en Australie, on apprenait en mai que Merck avait aussi mis sur pied une fausse revue médicale, l’Australasian Journal of Joint and Bone Medicine, publiée par l’éditeur scientifique Elsevier, laissant croire que les articles publiés étaient revus par les pairs.

Ces pratiques sont omniprésentes et corrompent la recherche médicale. Pire: une firme qui refuserait de jouer le jeu par souci éthique perdrait rapidement ses parts de marché. Les profits pharmaceutiques ne reposent pas sur l’innovation thérapeutique améliorant la santé des patients, mais plutôt sur la capacité de modeler le savoir médical pour se créer des niches de marché. Le professeur Sherwin soutient qu’elle n’a pas été payée par la firme qui a produit l’étude de Wyeth, et que l’étude publiée était scientifiquement correcte et ne contenait aucun mensonge. Fort bien; mais là n’est pas la question.

Résultats

Il faut comprendre comment se construit le savoir médical. Supposons que dix recherches portant sur la même molécule soient toutes menées selon des protocoles de recherche approuvés. Les résultats divergeraient selon que l’on mettrait l’accent sur certains éléments ou sur d’autres. Supposons que sept de ces recherches obtiennent des résultats défavorables, et trois des résultats favorables. Le savoir médical devrait se construire en tant que synthèse de ces dix recherches.

Toutefois, par des ententes de partenariat avec les universités, les firmes sont parties prenantes de la recherche et dirigent leurs fonds vers les recherches dont les résultats sont les plus susceptibles de leur être favorables, empêchant même parfois la divulgation des résultats défavorables. C’est là une des raisons fondamentales qui expliquent qu’il y ait si peu de littérature portant sur les dangers liés aux effets secondaires des médicaments, des dangers que l’on ne peut trouver que si l’on obtient les moyens de les chercher.

Maintenant, supposons qu’un chercheur produise des études et des interprétations scientifiquement correctes, mais présentées d’une manière sympathique aux intérêts des firmes. Obtenant, sur la base de cette sympathie, plus de fonds de recherche, il jouira en conséquence d’un plus grand prestige et aura une voix plus importante dans la communauté scientifique. Un plus grand financement lui apportera aussi une plus grande reconnaissance de son université et plus de tribunes lui seront ouvertes, ce qui fera de lui un expert plus influent.

Savoir médical

Que se passe-t-il toutefois si un chercheur interprète (aussi correctement) les résultats de manière plus critique et soutient qu’un produit est peu efficace ou encore dangereux, comme l’ont fait plusieurs avant le scandale du Vioxx? Dans des courriels internes de la firme Merck, divulgués en cour, on constate que la firme avait dressé une liste noire de chercheurs «voyous»: «Discredit, Neutralize, Destroy!», explique l’un des courriels.

Les chercheurs critiques, ou pas assez complaisants envers l’industrie, sont souvent marginalisés dans la communauté scientifique et deviennent incapables d’obtenir des fonds pour poursuivre leurs recherches. Ce fut le cas du Dr Olivieri, de l’Université de Toronto, qui avait publié les résultats défavorables pour un médicament d’Apotex, grand donateur pour cette université. Le Dr David Healy, quant à lui, a perdu le poste qu’il avait obtenu à l’Université de Toronto à la suite d’une conférence trop critique sur le Prozac. Le fabricant du médicament, Eli Lilly, était aussi partenaire de l’université.

En fait, le problème est peut-être là: tant que les firmes tiendront les cordons de la bourse de la recherche médicale et académique, le savoir médical se construira de manière sélective, comme un argument de vente, et non pas comme un savoir critique visant à améliorer la santé et le bien public. Et tant que les universités, chroniquement sous-financées, encourageront de tels partenariats avec des firmes subventionnaires, la porte restera grande ouverte pour la poursuite de la corruption de la recherche scientifique.

Marc-André Gagnon, Chercheur postdoctoral pour le Centre des politiques en propriété intellectuelle de l’Université McGill

 

Publié dans recherche medicale

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